BOSS WITH ME #3
Financement Jour Zéro. Aujourd’hui, installez-vous confortablement : ce n’est pas une simple newsletter, c’est une vraie histoire. La mienne, et celle de l’argent.
Je n’ai jamais trop aimé parler d’argent. Mais pour financer une marque de prêt-à-porter, il en faut. La thune, la moula : la trésorerie, c’est le nerf de la guerre.
Au jour zéro, je n’avais pas de fonds propres, et mes parents non plus. Il était hors de question de demander de l’aide à ma famille. Si mon projet échouait, je ne me serais jamais pardonné d’avoir perdu leurs économies. Il n’y a aucun jugement de valeur envers ceux qui sont soutenus financièrement par leurs proches, mais pour moi, c’était inenvisageable. J’avais tout à prouver, et d’abord à moi-même.
Faisons donc un saut dans le passé. Nous sommes en 2014. Après une rupture amoureuse (une autre, I know), j’atterris dans une coloc d’entrepreneurs pour un mois, le temps de retrouver un appart. Là-bas, je rencontre Sébastien Lucas, entrepreneur dans la tech. Il a l’âge de mon grand frère, on n’a pas grand-chose en commun, mais ça fit entre nous. Je lui raconte où j’en suis dans ma vie pro, parce que perso, il a capté que ce n’était pas ouf.
On parle de mon parcours, de ma fierté du moment : mon blog. Mon laboratoire de joie, l’euphorie de partager des choses sur Internet. Je lui explique que les articles les plus lus sont ceux où je parle de mes looks et de mes DIY couture. J’ai toujours eu la fibre du FAIRE en moi. Et ce qui m’intéresse, ce n’est pas seulement d’apprendre, mais de voir ce qu’il se passe quand les choses sont faites, et bien faites. Ce qui m’habite, c’est de tester mes limites et de ressentir ce que ça fait d’oser.
Alors, je lui partage mon idée : Et si je raccrochais tous les wagons ? Une marque où on achète des vêtements tout faits, mais où on peut aussi les fabriquer soi-même avec un patron de couture ?
Je devais avoir l’air assez convaincue, parce qu’il m’a répondu : "Si tu montes ta marque, moi, je mets de l’argent dedans."
Il ne m’en fallait pas plus. Sans le savoir, il venait de mettre une pièce dans le jukebox… pour les dix prochaines années.
Quelques jours plus tard, je lui ai dit : "OK, je suis chaude pour monter ma marque. Comment on fait ?"
S’il y a bien une chose que la vie m’avait déjà apprise à l’époque, c’est que le rythme fait tout. Il faut battre le fer tant qu’il est chaud. Alors nous voilà, en train de faire un business plan sur un bout de table, littéralement un îlot de cuisine. Pour la première fois de ma vie, j’ouvre Excel, avec peine et mauvaise foi, mais je bois les paroles de Seb, même si j’ai l’impression qu’il me parle javanais. J’acquiesce en me disant que je finirai bien par comprendre.
Le plan d’attaque est simple. Je fais des calculs à la louche en fonction du nombre de références que je veux proposer, à quel prix et où je veux les fabriquer (le plus proche possible, ça ne bouge pas ça).
Le nombre de choses que j’ai oubliées au début est hallucinant. Mais ce que j’ai appris en chemin l’est encore plus. (Ça pourrait d’ailleurs être l’objet d’une prochaine newsletter.)
D’après mes calculs, il me fallait environ 90k euros pour financer le début de l’activité. Les postes de dépenses principaux étaient :
la mise au point des modèles,
le site internet (Shopify n’existait pas encore),
l’achat des matières premières,
la production,
le labelling et le packaging,
les mannequins,
la photographe et la vidéaste pour les tutos,
et, moins glamour mais tout aussi nécessaire, le comptable et la partie juridique.
(Évidemment, je n’avais même pas pensé aux frais de marketing, de logistique et encore moins à mon salaire…)
Avec mon business plan et mes 10 slides de présentation ultra chargées, je suis allée voir ma banque.
Alerte spoiler : ça n’a pas marché.
Déjà parce que le banquier parlait lui aussi javanais. Ensuite, parce que j’étais trop impatiente et mal préparée. Il m’a fallu plusieurs mois de travail pour vraiment comprendre mon sujet. En parallèle, j’ai démarché tout le Sentier, fait tous les salons textiles, rencontré des fournisseurs d’étiquettes et de packaging, monté mon compte client à La Poste… Je savais que cette question d’argent allait se régler d’une façon ou d’une autre, et je ne voulais pas que l’argent soit mon frein.
Mieux armée, j’ai retenté ma chance. Une dizaine de banques, en solo ou accompagnée de mon comptable et/ou de Sébastien. Mais invariablement, je me suis sentie toute petite. Si j’étais seule, je me faisais paternaliser. Si j’étais accompagnée, les banquiers ne s’adressaient pas à moi, ou juste à la fin pour me dire que la couture, vraiment c’est une sacrément belle activité de bonne femme.
Peut-être que j’avais l’air de viser le trottoir d’en face, mais moi, j’ai toujours su que je visais la lune. Ils ne savaient pas encore à qui ils avaient affaire.
Vous l’aurez compris, j’étais un peu refroidie par les banques. Jusqu’au jour où un banquier m’a donné le coup de grâce : "Je ne suis pas inquiet pour votre projet. Et avec votre petite gueule, vous trouverez bien un gentil business angel qui va vous financer".
J’en ai pleuré de rage.
J’ai ravalé ma colère et je me suis dit : "Mais oui, Jean-Michel Fortune, tu as raison. Je vais aller chercher des business angels."
Je savais que si je m’associais à des BA (business angels), je ne serais pas seule au capital de Make My Lemonade, mais quitte à être accompagnée, je préférais choisir mes compagnons de route plutôt que des Jean-Michel Trou-De-Balle. Des gens qui savaient vendre en ligne. Peut-être que je ferais moins d’erreurs, riche des leurs.
J’avais déjà Seb, qui avait promis de mettre 40k. Il m’a conseillé d’aller voir mes amis qui avaient de l’argent.
Lol. Je n’avais pas ça sous le coude. Dans ma bande, on était toutes plus cigales que fourmis.
Je n’avais pas d’amis « riches », mais j’étais déterminée. J’avais des connaissances avec des compétences dans l’e-commerce, et ça, c’était certain. Alors j’ai pris mon bâton de berger et je suis partie raconter mon projet.
Cet exercice m’a clairement fait sortir de ma coquille de timidité. À cette époque, je vous rappelle que je suis « blogueuse » et je suis souvent invitée à des événements divers. Un jour, je vais à une soirée Sarenza où je rencontre les équipes, et le directeur général Stéphane Treppoz me donne sa carte. Dessus, il y a son titre, suivi de “Business Angel”. Ok, j’ai compris qu’il fallait que je prenne mon courage à deux mains et que je l’appelle.
Rétrospectivement, le courage que j’avais eu à cet âge… Je me fais un petit high five.
Oui, parce que vous ne le savez pas, mais je suis fâchée avec les mails, donc j’ai directement appelé.
« Allô, bonjour, oui, euh, j’ai vu qu’il y avait écrit business angel sur votre carte, est-ce que l’on peut se voir ? J’ai un projet à vous proposer. » Inconsciente, moi ? Je ne sais pas, mais certainement optimiste.
Long story short, il met des sous, il me propose de me présenter sa directrice marketing, Charlotte Dereux, qui voulait faire son premier investissement. Dans mes connaissances, j’ai Régis Pennel, le fondateur du e-commerce L’Exception, un multimarques de créateurs français. Je l’ai vu pour des conseils et, comme j’ai toujours l’air illuminée, il me propose de mettre un peu de sous et me présente sa directrice générale, Maeva Bessis, qui souhaite aussi faire un investissement. Une amie décide également de mettre ses économies dans Make My Lemonade et me propose de m’accompagner dans l’aventure au quotidien.
À cette époque, je me sens portée par la confiance de ces gens en un projet qui n’existe pas encore. Mais tous ont la conviction que j’ai une chose qui vaut de l’or : une communauté. Alors jusque-là, j’ai fait les choses et j’ai réfléchi après. Je ne réalisais pas encore la puissance de la communauté que j’avais fédérée grâce à mes partages. Car depuis le jour zéro du blog, mon but final n’avait jamais été d’en faire une marque. J’avais ouvert ce blog parce que j’étais persuadée que partager me ferait du bien et que, peut-être, « j’étais folle de donner mes idées gratuitement sur Internet »*, mais c’était ce que je devais faire.
Une mine d’or à 350k
Donc me voilà avec une promesse de 115 000 euros (soit 25 000 de plus que mon besoin pressenti, je trouverai bien un moyen de les dépenser) pour débuter mon projet. Je réussis à réunir ces cinq protagonistes autour d’une table pour que nous nous mettions d’accord sur la valorisation de MML. Car même si, au début, mes activités de blogueuse me rapportent, mes revenus ne dépassent pas 50 000 annuels et, comme je vous le disais, je ne me rends pas compte de l’enjeu de cette discussion : la valorisation de Make My Lemonade et de sa communauté.
J’avais envie que cela avance vite, donc on pouvait bien me faire croire n’importe quoi. Je n’avais pas pris le javanais en LV1, j’étais pour l’instant en total touriste dans le monde de l’entrepreneuriat. Je n’étais qu’impatience, prête à passer la seconde.
Heureusement que j’avais Sébastien Lucas à mes côtés. Il a un truc complètement dingue : c’est lui qui mettait le plus d’argent, mais il s’est battu pour que la valorisation de la boîte passe de 150k à 350k. Il ne voulait pas que je commence le projet avec seulement 56,5 % des parts de mon entreprise, mais plutôt 75 %. Un acte de foi, cette discussion. Il mettait le plus de sous et il se battait pour mes intérêts. Il avait compris que je ne parlais toujours pas javanais, mais il voulait surtout que je reste le plus longtemps possible « chez moi ».
Et voilà. Janvier 2015, c’est le grand saut. Make My Lemonade est né. J’ai trouvé cinq associés et j’ai commencé l’aventure avec 77,5 % du capital de Make My Lemonade.
Je m’arrête ici pour aujourd’hui, car sinon ce ne sera plus une newsletter mais une nouvelle. Et je reviens la semaine prochaine pour vous parler de la suite du financement !
P.S. : Je coupe court à vos suspicions, avec Seb nous n’avons jamais échangé de fluides corporels.
*Bisous Papa.
Lisa, si jamais tu as envie de venir parler de ta relation à l’argent, j’ai un super podcast Histoires d’argent, dans lequel je fais parler des gens de leur histoire avec l’argent (et Seb y est passé deux fois haha) 👀 quand tu voudras !
Wouah je me rends compte que si tu nous annonces que tu sors un livre sur ton expérience je l’achèterai sans hésiter tellement je “plonge” dans tes newsletter ! Merci, oh un grand merci, tu m’inspires à un point, je pense que tu n’imagines même pas !