On dit que lorsque l’on se lance, il faut savoir tout faire pour tout comprendre et mieux déléguer. La vérité c'est surtout que lorque l'on se lance, On n’a surtout pas les moyens de faire autrement que d’être un peu touche-à-tout parce qu’il est rare de débuter avec des ressources illimitées et la possibilité de déléguer les sujets que l’on ne maîtrise pas à des gens compétents ou volontaires. Cependant, Un des meilleurs conseils que l’on m’ait donnés, c'est de connaître mes forces et de ne pas essayer à tout prix de tout faire.
Prologue - savoir s’entourer des bonnes personnes
J’ai trouvé qu’à vouloir être absolument partout, on n’était nulle part. Donc très rapidement, j’ai accordé ma confiance à un comptable et une avocate pour gagner un temps précieux, en étant très claire sur la relation de confiance dont j’avais besoin. Le juridique et la comptabilité ne m’intéressent absolument pas et je ne vais pas essayer de m’y intéresser. Le risque zéro n’existant pas, il s’agit de trouver les bonnes personnes avec qui travailler, un peu comme un psy. Le mieux, c’est d’avoir des recommandations et surtout de ne pas hésiter à rencontrer plusieurs profils avant de se lancer.
Finalement, en vous écrivant ceci, je me rends compte que c’est la même chose avec la direction générale. Avec l’écriture de cette newsletter, je réalise que j’ai fait énormément de choses dans la précipitation. Je ne sais pas si je sais faire autrement que de faire d’abord et de réfléchir ensuite. L’action est la continuité de ma pensée.
Tous les gens que j’ai rencontrés avant de me lancer m’ont dit que je devais me focaliser sur mon domaine, la création, et trouver une personne pour m’aider sur la direction générale. En gros, quelqu’un pour s’occuper de tout ce qui ne relevait pas de la création. Même si je pense que l’on peut être créatif dans ce domaine et être très pragmatique et stratège dans la création… mais ça, c’est un autre sujet.`
Chapitre 1 : mon amie
Lorsque j’ai débuté en 2015 avec la vente de vêtements, je m’étais associée à une amie, et je pense que cela a été une de mes plus grandes erreurs et une des plus douloureuses aussi. Je me suis sentie si flattée qu’elle croie en mon projet et je crois que j’étais terrifiée à l’idée de me lancer seule. J’avais besoin que quelqu’un soit là, à mes côtés. Étant moi-même en train de suivre ma prophétie du faire d’abord et voir ce qu’il se passe, j’imaginais que cela pouvait être la même chose pour la partie stratégie et financière. Je n’avais pas de recul sur les compétences nécessaires et complémentaires dont j’avais besoin pour faire grandir Make My Lemonade. Mon parcours scolaire de saltimbanque étant loin d’une école de commerce, il me manquait clairement une brique entrepreneuriale à mon éducation.
Mais à cette époque, je n’avais aucune idée de ce dans quoi je mettais les pieds, et le fait d’avoir une amie avec moi pour débuter était déjà un monde. Nous étions à des moments de nos vies très différents. Elle venait de devenir mère, et je pense que je n’avais pas la moindre idée de la déflagration que cela pouvait être dans la vie d’une femme. Et je pense que j’attendais d’elle qu’elle soit mon alter ego sur tous les sujets que je ne maîtrisais pas, qu’elle ait la même implication totale dans le projet. Mais ce projet n’était pas le sien.
Notre séparation s’est faite avec pertes et fracas, et je me suis promis de ne plus jamais travailler avec des proches. J’ai la conviction que l’on peut devenir ami·e en travaillant ensemble, mais c’est très compliqué d’imaginer travailler avec des gens intimes tout en ayant des attentes aussi élevées sur des postes aussi clés.
Après ce premier coup dur, plus que jamais, j’avais les mains dedans jusqu’au cou… ou du moins jusqu’au coude. Après des discussions très difficiles avec nos associés, je suis partie à la recherche d’une nouvelle personne pour m’accompagner sur la partie “la moins glamour de mon quotidien”. Je mets des guillemets parce que ceci n’est pas un jugement de valeur. La direction générale est littéralement la colonne vertébrale d’une société.
Mais cela m’angoissait de m’imaginer en train de :
Piloter la stratégie de l’entreprise,
Gérer les dépenses,
Anticiper les flux de trésorerie,
Recruter des personnes,
Travailler avec notre comptable, nos banques,
Analyser les ventes,
Manager,
Organiser la logistique,
Faire grandir l’acquisition…
Chapitre 2 : le no show
Toutes ces choses pour lesquelles je n’avais absolument pas été formée et qui venaient avec la suite PackOffice de cheffe d’entreprise. En mai 2016, je me retrouve seule, et je me rends compte qu’à cette époque, je n’avais pas fait cette liste. L’idée même d’ouvrir Excel me filait une angoisse immense. Moi, je voulais faire des dessins, peindre des motifs, imaginer des shootings, concevoir des boutiques et des événements qui refléteraient l’ADN de Make My Lemonade.
Je décide de prendre le problème autrement et j’imagine partir à la recherche de mon Pierre Bergé. Lol, pour qui je me prends… Mais je sais pas, l’idée me plaît. À cette époque, j’ai la bonne idée de déléguer et je rencontre un cabinet de recrutement qui me propose de m’accompagner. La mission est simple : trouver le profil pour m’épauler. Ils ne seraient payés que si la mission aboutissait sur une embauche, et je négocie qu’ils ne prennent que 20 % du salaire brut annuel. Même si je n’ai aucune idée de comment je vais payer cette personne, je me dis qu’elle trouvera bien une façon de faire marcher l’ensemble, puisque c’est elle qui aura le nez dans les chiffres.
Vraiment, à cette époque, j’ai envie de me filer des claques et de me câliner en même temps.
Je rencontre un mec génial, fit incroyable, impatience maximale… Et le matin de son arrivée, il est en bas du bureau. Il m’appelle pour prendre un café. Et je me fais larguer avant même que cela ne commence. Il a reçu une offre qu’il ne peut pas refuser, il a une famille, tout ça. Vraiment le sens du drame de cette période.
Je remonte au bureau où mon équipe m’attend. Seule.
Je me souviendrai longtemps du soutien de Simoné, Laure, Charlotte, Maria. On va y arriver. Ils ont confiance en moi. J’aurais pu aller sur la Lune avec leur confiance… Remarque, je suis probablement en train d’y aller.
Je remonte mes manches, je fais un scandale au cabinet de recrutement, et je me dis que je vais y arriver seule.
Ça tient un bon moment : petite entreprise / petits problèmes (toute analogie avec la parentalité est complètement volontaire). Make My Lemonade reste mon premier bébé. Je suis tellement flippée des thunes qu’on ne dépense pas grand-chose. On fait TOUT nous-mêmes : les photos, les vidéos, les décors, les patronages, les développements, les expéditions, les meubles pour les pop-up stores (merci papa). Je négocie TOUT.
Avec notre studio de création intégré, on fait beaucoup de contenu en carte blanche pour des grosses marques. Cette partie vente de services finance un bon moment les débuts de Make My Lemonade… et quelques salaires aussi.
Mais souvenez-vous, j’ai la bougeotte. J’ai envie de plus de challenges.
Chap 3 : le part-Time
2018 : il y a ce projet de boutique dans les tuyaux. Lors de la levée de fonds, Sébastien, mon business angel gardien, me reparle de la nécessité grandissante d’avoir un duo solide pour piloter Make My Lemonade.
Qui va m’aider à dépenser les 800K pour l’ouverture de la boutique, anticiper les stocks, recruter les équipes, etc. ?
En plus, Sébastien me tanne depuis des mois pour que je fasse un reporting.
Un reporting, c’est un document plus ou moins long qui fait état des résultats de la société à présenter à son board d’associés. C’est un document très structurant (et rassurant pour les associés), qui permet d’évaluer le chemin parcouru, de comparer les évolutions, d’analyser les succès et de comprendre les échecs.
Jusque-là, j’étais en mode freestyle total. J’ai même envie d’écrire : Y a-t-il un pilote à bord ?
Tellement flippée de la dépense qu’à chaque rendez-vous avec mon comptable, je suis super contente de découvrir l’état des finances. Pardon Seb, pour cette gestion qui a dû te donner quelques insomnies.
Et puis la BPI finit de me mettre au pied du mur : ils n’investissent ou ne prêtent de l’argent qu’à un duo créatif/financier.
Je crois que j’ai dû faire mon premier post LinkedIn ce jour-là pour annoncer que je cherchais mon futur directeur général. Je le genre au masculin, et je me rends bien compte à quel point c’est problématique… Mais j’ai longtemps cru que le profil que je recherchais était celui d’un homme.
Je vous fais bref : je rencontre peu de monde, de toute façon. Mon impatience chronique et mon angoisse du tableau Excel m’ont fait faire, une fois de plus, un recrutement inapproprié. Si je regarde dans le rétroviseur… n’importe qui parlant javanais et sachant faire des tableaux croisés dynamiques me paraissait être un génie.
Je rencontre un mec super, une connaissance d’un bon ami. Mes associés le rencontrent aussi. Sur le papier, c’est le profil idéal : il a une entreprise qui fonctionne bien, qui ronronne, dont il pourrait s’occuper à mi-temps, et l’autre mi-temps serait pour Make My Lemonade. Je resterais libre, mais avec un tuteur.
Déjà, si on appuie sur Pause… ça sent la mauvaise idée, right ?
Eh bien, nous y sommes allés joyeusement dans cette organisation bancale. Frustration maximale pour tous les protagonistes de l’affaire. Impossible de cloisonner : un peu avec nous, un peu là-bas… Il s’est épuisé, les reportings mensuels n’ont jamais été envoyés.
La machine Make My Lemonade devient Make Muy Lemonade.
Ça grandit vite. La croissance est impressionnante.
Il faut piloter au jour le jour. Le pic de croissance est compliqué à financer, parce qu’une marque en expansion a besoin de plus de moyens pour financer ses futures collections, sa grande boutique, etc. Et puis, comme je vous l’écrivais, le budget travaux de la boutique a bien été entamé.
Nous voilà fin 2019. Mes associés me convoquent pour que l’on trouve une solution : remplacer le directeur général et trouver une personne à plein temps.
Chapitre 4 : le Coup de foudre à Manhattan
Le passage qui va suivre ressemble à une comédie romantique, mais tout est vrai. Sébastien, mon associé, me dit qu’un de ses amis entrepreneurs a le profil parfait pour Make My Lemonade. Appelons-le A.
Problème : il est à New York.
Heureusement, de passage à Paris, on se croise quelques heures. Il est à NYC pour développer la filiale US d’une très belle marque française. Ça fait quelques années qu’il est là, il a envie de rentrer en France et d’intégrer un projet plus petit, plus créatif.
Le courant passe.
Mais après mes échecs, je me dis que je dois prendre mon temps et ne pas m’emballer trop vite. Entre-temps, il me propose de venir si j’ai le temps à New York. Il a de la place pour m’accueillir… mais le timing est compliqué pour moi.
Je vais vous raconter une histoire complètement folle, et j’ai conscience d’avoir une chance inouïe pour la suite de ce récit.
Une très bonne amie me propose de l’accompagner cinq jours dans une destination lointaine pour un voyage de presse. Ce matin-là, l’univers entier m’envoie des signes.
Déjà, ce matin-là, c’est mon anniversaire.
Une suite d’événements météorologiques apocalyptiques, un passeport oublié, un incident sur un avion qui nous fait débarquer, vol annulé, correspondance ratée.
Je décide que je n’irai pas avec mon amie et je rentre chez moi.
Dans le RER, j’écris à A : Si je te rejoins aujourd’hui pour quelques jours à NYC, c’est déconnant ou pas ?
Il me dit Go.
Je trouve un vol l’après-midi même.
Je prie pour que le paiement passe. Ça marche.
J’ai trois heures pour changer des habits dans mon sac et filer à l’aéroport.
Ce 20 juin 2019 aura été littéralement l’anniversaire le plus long de ma vie.
J’ai remonté le temps.
Et je suis accueillie avec une bougie sur un cheesecake.
Ça sent la com rom à plein nez.
Mais 1. Nous n’avons pas échangé de fluide corporel.
Et 2. Je ne vous spoile mais pas de business happy ending.
Pourtant, c’était bien parti. Cinq jours trop cool, qui ne font que confirmer qu’on a une vision commune et que je pense que ça va être trop chouette de bosser ensemble. Je sens que les équipes vont l’adorer. Bref, on se sépare en se disant qu’on se retrouve en septembre. De septembre à janvier, c’est incroyable. Je trouve un vrai rythme de croisière. Créativement parlant, je suis libérée d’un poids énorme sur mes épaules et ça se ressent.
C’est donc ça, partager le fardeau ?
Mais je sens qu’il y a un truc qui cloche.
La sentence tombe en Janvier On propose à A de réveiller une belle endormie d’un grand groupe – appelons cette marque Courgette. Une opportunité qui ne se refuse pas.
J’ai la sensation de m’être fait prendre pour une conne pendant des mois parce que j’imagine bien que ce recrutement ne s’est pas décidé hier. Même si j’imagine qu’il ne voulait pas m’en parler tant qu’il n’était pas sûr…
Et puis, il m’a dit : "Le prends pas perso, c’est que du business."
Cheh. Je ne commenterai même pas cette phrase mais putaiiiiin.
Il part en mettant des choses en place, genre en me présentant un DG par intérim. Une personne qui a sa boîte qui gère l’administratif et l’animation des boards pour plusieurs clients.
Cette solution est une rustine sur la fracture ouverte de mon ego, mais bon, c’était une solution. Nous voilà en février 2020. La suite, vous la connaissez :
Fermeture des commerces non essentiels.
Confinement.
Pour moi, sur le plan perso, c’est une période magique. Je vis pleinement ma rom com et je termine l’année avec Suze dans le ventre.
Je vous raconte ça parce qu’après la naissance de Suzanne, je n’ai pas vraiment de congé mat. Je reprends à bosser avec mon bébé et Make My Lemonade devient Make Muy Muy Lemonade.
La croissance est toujours là. Et quand l’entreprise grandit, les problèmes grandissent avec. Et là, je ne peux plus gérer l’envergure de ma boîte seule. Les besoins en recrutement, le management, faire grandir des membres de l’équipe dont j’ignorais tout du métier qu’ils ou elles exercent… c’était devenu impossible.
J’avais envie de pleurer tous les jours. J’avais l’impression d’être assise sur une fusée, mais je ne savais pas la faire fonctionner.
Et un jour d’hiver, je recroise A. Avec ma tête de déterrée de jeune mère + cheffe d’entreprise par-dessus le marché, je lui demande :
"Qui t’a débauché ?" Il me donne le nom du cabinet de recrutement et me fait un mail d’intro.
Parce qu’au final, le dénominateur commun de tous ces mauvais castings… c’était moi.
Chapitre 5 : Inès
En 2022, je contacte le cabinet de recrutement Mo-Conseils et leur confie la lourde tâche de trouver la personne qui :
Piloterait l’activité et la stratégie d’entreprise,
Concevrait le plan d’expansion avec “la fondatrice” et le board des associés,
Superviserait et planifierait l’acquisition de nouveaux clients,
Superviserait et planifierait la production, les relations avec les fournisseurs,
Superviserait la fonction financière (comptabilité, contrôle de gestion, budget, etc.),
Accompagnerait la croissance et la gestion de la transformation,
Superviserait les recrutements et la gestion RH,
Développerait la marque sur tous ses marchés…
Une fiche de poste incroyablement flippante mais géniale.
J’ai rencontré beaucoup de gens très qualifiés. Au début, je ne savais même plus écouter mon instinct. Tous les candidats avaient les compétences requises. Il s’agissait maintenant de trouver le match parfait.
Et puis, en mai 2022, je rencontre Édouard. Super profil, mais pas celui qu’il me faut. Lui, en revanche, pense tout de suite à une personne : Inès. Il lui dit qu’il a raté son entretien mais que ce job est fait pour elle.
Inès me contacte directement, sans passer par le cabinet. Maligne. Mais à ce moment-là, je suis tellement désillusionnée que je refuse de prendre la moindre décision seule. Je transfère son mail au cabinet et les laisse gérer. Ma confiance en moi est proche du néant.
Elle rencontre Simoné, Seb, et d’autres associés. Tout le monde est conquis, moi la première.
Nous commençons à travailler ensemble durant l’été, et en passant en revue le business plan 2023, elle me demande mes besoins et mes envies.
Lorsqu’elle évoque le mois d’avril 2023, je me demande si je lui annonce que je suis enceinte d’un mois ou si je lui mens par omission.
Je lui annonce évidemment. Et elle m’annonce la sienne. Blanc.
Évidemment que cela n’est pas un problème. J’ai une petite goutte de sueur qui ruisselle dans mon dos, quand même. Mais je sais que ça va le faire. Il faut que ça le fasse. Nous avons environ six mois pour que notre mayonnaise prenne. Accorder nos violons. L’échec de ce duo n’étant pas une option, c’est difficile pour moi de vous en parler, parce que tous ces récits sont des chapitres clos, et avec Inès, nous sommes en train d’écrire notre histoire.
Epilogue : Une femme avec une femme
Bientôt trois ans qu’elle est là. Et la seule chose que je peux vous dire c’est : Quelle joie de me lever le matin pour la rejoindre.
Je repense à mon idée d’avoir un directeur général plutôt qu’une directrice. Mais il est évident que nous sommes trop fortes et que personne ne peut comprendre aussi bien Make My Lemonade que deux femmes.
Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour un format plus court promis, avec une question, et vous, où vous voyez-vous dans 10 ans ? Jusqu'où souhaitez-vous pousser le curseur de votre ambition ?
Ah ben non pas plus court le format parce que c’est passionnant de te lire !
Incroyable mais véridique j’attends toutes les semaines impatiemment que la suite arrive… dans un temps de surabondance de contenus c’est une prouesse! Bravo et merci la vie d’entrepreneuse est une telle prise de risque que s’en est à haletant!