Bienvenue aux nouvelles têtes dans l’assemblée, nous sommes plus de six mille par ici, merci de me lire et merci pour vos retours. C’est galvanisant et même étourdissant pour moi de me livrer autant. C’est une introspection passionnante, un peu douloureuse parfois mais l’exercice est génial pour les 10 ans de Make My Lemonade. Donc si vous débarquez ici, je vous invite à lire la newsletter précédente sinon vous allez être un peu perdu.es par mes références.
Je reprends donc mon récit sur le financement où je l’ai laissé en 2015, moment où je lance mon projet :
Un modèle slow fashion : 1 pièce par mois en 2 couleurs (+ une pièce bonus, souvent un sweat-shirt)
Rapidement, je me sens frustrée. J’ai plus d’idées que ce que je peux produire. En 2016, je lance "Les Baigneuses", la première collection plus étoffée, avec en bonus une collaboration (coucou Noo Underwear ). À partir de là, on passe à un rythme de 12-15 pièces par trimestre.
Mais un frein persiste : financer de nouvelles collections coûte cher.
Produire signifie payer d’avance, et les usines ne nous accordent aucune facilité de paiement. On ne dépense pas grand chose, on a le do it yourself dans le sang : des shootings plus créatifs les uns que les autres. Sur notre chemin on a eu la chance de croiser des photographes, maquilleur-ses, coiffeur-ses, mannequins incroyables qui avaient envie de bosser avec nous et qui nous ont offert des faveurs inestimables.
C’est là que naît une valeur clef de Make My Lemonade : "faire beaucoup avec peu".
Une nouvelle levée de fonds, une boutique, un tournant
Nous voilà en 2018, j’aspire à plus grand, on a fait 3 pop-up stores, on a rencontré notre communauté, c’était fou, je sens qu’il y a un frémissement. J’ai envie que les efforts que l’on déploie pour nos boutiques éphémères deviennent pérennes.
Alors j’en parle souvent avec Sébastien (la personne avec qui je n’ai jamais échangé de fluide corporel) et il me suit, je lui pitche un concept store, un lieu où on pourra boire un café, faire des ateliers et acheter des vêtements évidemment.
Je lui vends un « Merci » coloré. Il me suit mais il me dit que je dois trouver 3 choses :
Des fonds
Un local
Un directeur général
Même pas peur. Pourtant j’aurais dû prendre un peu plus mon temps. Me voilà, à la recherche d’un local, je me dis que ça sera sans doute plus simple de convaincre des financiers avec une adresse.
Et bien vous savez quoi, la recherche de local a été aussi fastidieuse que celle de financement auprès des banques. On me paternalisait sec avec mon “petit” projet qui faisait à peine 1 million de chiffre d’affaire. Et petite nouveauté par rapport à 2015 et les banques, les agents immobiliers ne me rappelaient pas pour faire des visites mais pour aller boire des verres. La fatigue. Donc je n’ai pas perdu plus de temps et d’énergie sur le dossier « recherche de local ». Simoné mon acolyte des débuts de Make My Lemonade et Sébastien se sont proposés de faire les premières visites de locaux et si ces derniers étaient prometteurs, je faisais une seconde visite. On a gagné du temps.
J’étais quand même échaudée par l’histoire qui se répétait et de façon concomitante j’étais à la recherche d’argent.
Un jour lors d’un événement organisé par l’Etat à Bercy, une sorte de portes ouvertes pour aider les créateurs français à trouver des financements, je me suis retrouvée en face de Nicolas Santi-Weil (CEO de la marque Ami) qui m’a demandé ce dont j’avais besoin pour avancer. Je lui ai répondu de but en blanc « 10 ans de plus et une paire de couilles pour que l’on me prenne au sérieux »… Je pense que ça l’a fait sourire de me voir devenir écarlate après avoir dit cette énormité à un inconnu. Après ça, Nicolas a fait beaucoup pour nous car il m’a mise en contact avec la Bpi. La Bpi c’est la Banque Publique d’investissement et il m’a demandé de le tenir au courant si je faisais une levée de fonds.
La Bpi c’est un fonds d’investissement qui prend des parts du gâteau de votre entreprise comme un fonds classique mais qui a une autre entité, comme une vraie banque qui prête de l’argent avec des facilités de remboursement, des conseillers qualifiés et une vraie expertise dans tous les secteurs qu’ils accompagnent.
Le financement que l’on a pu faire avec la Bpi , c’était un financement 1 pour 1. C’est à dire qu’il fallait que je trouve une somme auprès de business Angels et la Bpi s’adosserait à eux pour mettre la même somme. Pour financer le projet concept store on avait fait évidement un business plan et le besoin d’argent était de 800k. Il fallait donc trouver 400k euros et la Bpi nous suivrait sur le même montant.
Lors de ces rendez-vous à la Bpi, on me conseille de rencontrer Dan Arrouas, l’un de fondateur de Ba&Sh. Coup de coeur pour le personnage. Dan c’est un homme qui s’est fait tout seul, il a fait ses armes au coeur du Sentier, je vous conseille son épisode dans le podcast « Entreprendre dans la Mode », c’est une pépite. C’est pour moi une vraie rencontre même si on a souvent été en désaccord. Dan m’a dit lors d’une de première session de travail, a propos du choix de nos mannequins: « tu crois vraiment que ta cliente qui fait un 36 a envie de s’habiller comme sa grande tante qui fait un bon 44 ? » Je crois que le sang a dû disparaître de mon visage ce jour là. Je vous raconte cette anecdote parce que souvent je lis des commentaires qui disent « Depuis qu’il y a des investisseurs ça a changé, c’était mieux avant. » Je souris parce qu’il y a des investisseurs depuis le jour 1, depuis le commencement de Make My Lemonade, je n’ai jamais été aussi libre de ma vie. Je prends tous les conseils sages et moins sages et je décide ou non de les appliquer. Même si certains investisseurs ont des réflexions qui reflètent l’ancien monde, on garde le cap, on pioche dans leurs expériences ce dont on a besoin. Et puis les investisseurs c’est aussi des joueurs, les sommes investies sont des sommes qu’ils sont prêts à perdre. Lors des boards, on pose des questions, on présente des chiffres, on nous donne des indications, et après dans le quotidien on déroule avec la confiance et une chance folle de suivre nos intuitions.
Nous voilà donc en 2018, je lève des fonds pour la seconde fois au près de la Bpi, j’ai trouvé les sous, la boutique et le directeur général. Le sujet directeur général sera le thème de la prochaine newsletter. Dans cette levée de fonds, je fais rentrer 6 nouveaux actionnaires, Sebastien remet des sous et je fais aussi rentrer 3 salariés de Make My Lemonade, j’ai ouvert ce « tour de table » aussi aux gens de la société.
Je vous passe les détails des turbulences liées au financement d’une très grande boutique, d’un budget des travaux que l’on a évidemment dépassé, à des quelques collections qui ont moins bien fonctionné, une année 2020 où j’ai terminé en larmes un certain nombre de fois…
Mais heureusement grâce à des lignes de découverts autorisées, des PGE (prêts garantis par l’état - coucou le Covid ) remboursés, des organismes comme l’Ifcic ou bien des prêts en compte courant de nos associés, et j’en passe, nous aurons sorti la tête de l’eau et toutes ses fluctuations d’argent nous ont amenés à trouver un équilibre en 2023. Mais vous savez la trésorerie, c’est le nerf de la guerre.
Et Maintenant ?
Depuis l’arrivée d’Inès, la directrice générale de Make My Lemonade, nous sommes dans une allure exceptionnelle malgré un secteur du prêt à porter qui souffre. L’année dernière a été intense, on a arraché l’objectif de chaque mois pour atteindre 8 millions d'euros de chiffre d'affaire et nous avons la conviction que nous aurions pu faire plus, si nous avions pu financer des collections plus profondes.
Mais pourquoi grandir plus me diriez-vous ? Parce que l’ambition est un moteur, on a a la sensation qu’on a encore beaucoup de chose à dire, on a envie de montrer ce dont nous sommes capable. On rêve d’avoir les moyens de nos ambitions. On veut aussi montrer qu’on peut faire du beau en le faisant bien. Moi j’ai envie d’appuyer sur l’accélérateur de la ligne maison, j’ai envie d’ouvrir des nouvelles boutiques en France, on a aujourd’hui l’expérience et l’équipe pour.
Et souvenez-vous quand on faisait à peine 1 million de Chiffre d’affaires on ouvrait déjà une boutique paquebot de 250m2. Si je dézoome un peu, j’ai fait les choses dans le sens inverse… J’ai ouvert une boutique, je suis devenue rentable puis j’ai constitué une grande équipe solide.
Donc l’année dernière, on a été décidé de faire rentrer un fonds d’investissement dans notre capital pour donner un réel coup d’accélérateur financier et humain, et nous permettre de grandir sans prendre des risques à chaque collection. Dans un paysage du prêt à porter où les marques ferment à tour de bras, cela n’a pas été une promenade de santé.
Je pense que tout les fonds d’investissement de la place de Paris dans le domaine de la création du design ont été rencontrés. On a même été assez loin dans certains processus et puis finalement, rien.
Nous sommes en croissance, rentables dans un domaine où tout est fragile. Nous sommes l’anomalie dans le système et finalement ça ne l’a pas fait. Souvent avec cette même réponse : le fond est frileux sur votre secteur et nous ne comprenons pas l’univers. Et le topping final, c’était souvent : nos femmes ne portent pas vos vêtements… Je grossis à peine le trait. Moi je crois intimement que ce qui fait notre singularité et notre façon de l’opérer est spécifiquement la raison pour laquelle nous sommes en croissance. Je pense que plus que jamais en ces temps troubles, on a besoin de joie, de couleurs et d’une proposition réellement différente.
Nous n’avons pas réussi à lever d’argent avec un fonds d’investissement, mais nous n’étions pas pressées.
Et chemin faisant, les mois passant une idée a germé, l’urgence financière n’en est toujours pas une mais les chiffres sont fous, les objectifs toujours atteints, et un chiffre arrive a grands pas : 10. Make My Lemonade va avoir 10 ans en Avril. Alors je vous spoile et pour cet anniversaire symbolique, nous allons ouvrir notre capital à notre communauté au travers de la plateforme de levée de Fonds participative Lita. Parce que finalement nous voulons que cette aventure reste entre les meilleures mains possibles : celle de la communauté de Make My Lemonade, les personnes les plus à même de comprendre ce que nous faisons. Nous allons donner la possibilité d’avoir une part du gâteau pour monter à bord de l’aventure. C’est le coeur battant que j’écris ces phrases. Je vous tiens évidemment au courant de la suite de cette aventure folle ici mais nous allons créer un canal d’informations dédié juste ici.
Je vous laisse avec cette énorme nouvelle et moi je reviens la semaine prochaine avec le thème « DG or not DG, this is the question ? »
Ps: Vos nombreux retours sur le financement m’ont donné envie de faire un petit aparté « valorisation » qui me paraissait évident. Evident pour moi qui suis dedans jusqu’au cou, mais suite à vos retours, je vous précise mes propos.
Comment valoriser une entreprise ?
Une société qui veut lever de l’argent pour financer sa croissance et développer son activité doit d’abord évaluer la valeur de son capital avant de chercher des associé.es (futur.es actionnaires). Combien elle vaut, en gros.
Je vais vous parler du domaine des marques de mode nées sur Internet, les DNVB (Digital Native Vertical Brands), car chaque secteur a ses propres règles. Moi, je pensais que la valorisation d’une boîte, c’était moi qui la choisissais : "Je trouve que mon projet est super, cela doit bien valoir cent millions d’euros !" Ce serait génial, mais ça ne marche pas comme ça. Je sais, c’est décevant.
Dans le domaine de Make My Lemonade, la valorisation peut se calculer de deux façons :
Elle correspond à peu près au chiffre d’affaires de la boîte (souvent équivalent au C.A de l’année en cours)
Elle est égale à 10 fois l’EBITDA (l’Excédent brut d'exploitation, soit ce qui reste une fois que tout a été payé).
Je simplifie : la valorisation que vous choisissez détermine si votre boîte est un bon deal ou non. Plus elle est basse, plus vous donnez une grosse part du gâteau à des futur.es associé.es, ce qui vous permet d'avoir des liquidités pour développer votre projet. Mais à la fin, il vous reste moins de gâteau. Plus elle est haute …
Le pacte d'associés, le code civil de votre société
Quand on lève des fonds, il y a un document essentiel : le pacte d’associés. C’est une sorte de règlement intérieur de la société qui définit ce que l’on peut faire ou non. Par exemple, au début de Make My Lemonade, je devais demander l’autorisation à tous mes associés pour dépenser une certaine somme.
Ce pacte précise aussi les conditions de sortie des actionnaires et détermine qui sera présent dans le board. Quand j’ai commencé il y a dix ans on disait « conseil d’administration » mais c’est plus cool de dire « board » j’avoue que ça claque. « Ce soir j’ai mon board, tu peux gérer les kids? » c’est mon joker executive woman. « Ah désolée je peux pas j’ai mon conseil d’administration » ça me fait penser à une mauvais doublage d’un film américain qui se passerait à Wall street.
Dans le board, on choisi les personnes qui seront les représentantes des autres associé-es, généralement ce sont des gens qui sont disponibles et qui ont envie de vous aider.
Ce document est un condensé de javanais, plein de petites lignes et d’astérisques, mais il est hyper structurant. Dans ma newsletter précédente, je voulais souligner à quel point il était fou qu’une société sans chiffre d’affaires ait été valorisée à 350 000 € uniquement grâce à sa communauté. C’est le PS le plus long de l’histoire….
Bonjour Lisa !
Merci pour cette newsletter très informative et toujours aussi bien écrite. <3 Un bonheur à lire ! J’aime tellement connaître les “behind the scenes”, c’est enrichissant de voir comment Make My Lemonade a grandi.
J’ai HÂTE de connaître les modalités du Lemonade Board, j’avais envie d’investir dans un projet et en fan inconditionnelle de la marque quoi de mieux ?
Bref, encore merci et vivement la prochaine 😊
Bravo pour les bientôt 10 ans de Make my Lemonade !
J’ai aussi hâte de découvrir le Lemonade Board !